
RadioMentale « Ghost Track », 2010, 17mn
septembre 27, 2010GHOST TRACK (la piste fantôme)
Installation audiovisuelle, double projection vidéo (boucle de 16’27), son
Cette pièce audiovisuelle signée Radiomentale est composée à partir d’images, principalement de visages, tirés du cinéma muet, d’inspiration parfois fantastique et surréaliste, comme Nosferatu et Faust de Murnau, La chute de la maison Usher de Jean Epstein ou La coquille et le clergyman de Germaine Dulac. Le tout est destiné à être projeté de nuit, en plein air, sur le feuillage des arbres (comme dans les Jardins du Trocadéro à l’occasion de la Nuit Blanche 2010), ou sur une architecture urbaine.
Watch the left and right screen of the installation/Visionner les deux vidéos : écran droit et écran gauche.
Grâce à un montage privilégiant les effets de surimpressions et de ralentis, Radiomentale met en place une forme de récit ouvert et léthargique, une métafiction, un scénario brisé, ouvrant de nombreuses voies d’interprétation pour le spectateur (ce que le duo pratique déjà dans ses pièces purement sonores depuis la moitié des années 90).
La double projection met en forme ces tentatives de dialogues entre les personnages ainsi que les connexions possibles entre les différents espaces, les différents récits, figurés à l’image.

Installation « Ghost Track » de Radiomentale, projection sur les murs du quartier de Celleneuve, lors du Festival ZAT, Montpellier 2012.
Ici, des visages fantomatiques semblent communiquer à travers le temps et l’espace, des corps semblent prisonniers des limbes, un brouillard mystérieux envahit chacune des images, et deux musiciens, un joueur de guitare et une organiste, sont à l’évidence possédés par leur instrument et hantés par leurs mélodies. On évolue ici dans un univers qui évoque volontiers l’au-delà, la dimension chimérique des images, le registre des apparitions divines, la transmission de pensée, la connexion avec d’autres espaces temporels. Soient autant de thèmes qui ont marqué la fin du 19e et le début du 20e siècle, notamment l’ésotérisme et le symbolisme, et que l’on retrouve naturellement aujourd’hui dans le travail d’autres artistes contemporains.
Au fond, le cinéma muet, avec ses images surgies d’un lointain passé, ses visages expressifs et blanchis par le maquillage, ses comédiens décédés depuis de longues années, constitue sans doute une forme moderne de nos histoires de fantômes d’hier. Les esprits errants en quête de rédemption ou de vengeance ne peuplent plus les châteaux mais hantent désormais nos écrans, que cela soit une salle de cinéma, un écran d’ordinateur ou de télévision. Rejouant indéfiniment la même scène et le même scénario, ces acteurs semblent prisonniers de leur destinée couchée sur la pellicule, sans posséder le moindre espoir de connaître une paix éternelle, ou une autre vie. A moins bien sûr d’être extraits ou détournés du scénario qui les attend, et d’être confrontés à de nouveaux personnages, ou de nouvelles situations.
On appelle en anglais « ghost track » ces morceaux malicieusement cachés à la fin d’un CD, que l’on découvre parfois après la diffusion du dernier titre de l’album, et après de longues minutes de silence. Lorsque l’auditeur laisse ainsi son CD sur la touche lecture, il est parfois ainsi surpris ou charmé par l’irruption inopinée d’une mélodie qui semble sortie de nulle part, ou du passé.
La bande-son qui accompagne ces images est composée par Radiomentale à partir de sons et de fréquences électroniques, de sons naturels retraités, d’échos lointains de pianos et d’orgue, ainsi que d’un sample d’une pièce de Philip Glass, dont les fragiles conditions d’enregistrement viennent renforcer le caractère flottant de l’ensemble.
Depuis ses origines et l’invention du Theremin, la musique électronique a d’ailleurs beaucoup à voir avec les idées de connexion et de transmission, de mémoire transmises à travers le temps, les ondes ou l’éther (chez les Anciens, l’éther est décrite comme un fluide subtil remplissant les espaces situés au-delà de l’atmosphère terrestre, et plus tard comme un fluide hypothétique, impondérable, élastique, que l’on regarde comme l’agent de transmission de la lumière et de l’électricité).
Le caractère immatériel de la musique, et plus encore de la musique électronique, ainsi que ses instruments alimentés par l’électricité, en font le médium rêvé pour matérialiser l’oubli, signifier l’absence et rappeler à notre esprit la mémoire des âmes oubliées.